Malik Ambar est un des personnages les moins connus de l’histoire du Maharashtra et donc de l’Inde. Pourtant, il a à son actif des réussites impressionnantes. Il défia le grand empire moghol qui lui vouera une haine aussi grande qu’une admiration pour ce chef de guerre exceptionnel. C’est, dans l’histoire de l’Inde, un des personnages que je préfère. Il est intelligent, tolérant et ne se laisse jamais avoir par la fatalité.
La vie africaine de Malik Ambar
Celui qu’on appelle Malik Ambar est né en Ethiopie sous le nom de Chapu. Il est né en 1548 approximativement dans la région de Hararghe dans la partie Est de l’Ethiopie. Il fait partie de l’ethnie des Oromo.
Quelques rappels historiques
Au XVIe siècle, l’Ethiopie est ravagé par les guerres. Le sultanat de Adil qui depuis le XIVe siècle essaye de conquérir de nouveaux territoires dans la corne de l’Afrique, mène à partir du XIVe siècle une guerre sans merci. Un des moyens de réduire la contestation et mettre fin au conflit est la mise en esclavage de tous les hommes des tribus rencontrés.
Le prêtre portugais Gonçalo Rodrigues fait mention que « entre 10 ou 12 000 esclaves » sont vendus chaque année par le sultanat. Beaucoup de tribus locales ne s’en remettront pas. C’est le cas de Oromo, la tribu de Malik Ambar.
Les esclaves étaient envoyés dans l’empire Ottoman, en Perse, Arabie, Inde et Ceylan (Sri Lanka).
De la naissance à la mise en esclavage
Comme nous l’avons dit, Malik Ambar est né au environ de 1548 dans une région ravagée par la guerre. Nous avons peu d’éléments sur la vie de Malik Ambar en Ethiopie.
Deux théories s’affrontent quant à la mise en esclavage du jeune Malik.
Les premiers disent que Chapu est le dernier d’une grande fratrie, ce qui obligea ses parents à le vendre à des marchands d’esclaves. Il n’y a aucune preuve historique de cette version.
Les autres disent que vers l’âge de 12 ans, Chapu fut capturé par des soldats ennemis durant un raid d’intrusion sur le territoire Oromo. Même si il n’y a pas de preuve formelle de cette version, cela ressemble plus a ce que pratiquaient les généraux du sultanat de Adil.
Ce qui est sûr, c’est qu’il a été emmené au port de Zeila (près de Djibouti). Il fut embarqué dans un navire d’esclaves direction Mocha (Yemen). C’est là qu’il sera acheté par un marchand du nom de Kazi Hussein. Avec lui, il remontera la mer Rouge jusqu’à atteindre le port de Jeddah, près de la Mecque.
De la Mecque à Bagdad
A la Mecque
Durant son voyage entre Zeila et la Mecque, le jeune Chapu devient musulman. A-t-il été forcé de le faire ? A-t-il compris les avantages de cette conversion? Nul ne le sait. Par contre, devenir musulman dans un monde musulman à certains avantages. Il sera affecté à des taches moins dégradantes et recevra une éducation.
Nous ne savons rien de ses années passées à la Mecque. Ce que nous savons, c’est qu’il s’inspirera d’un système d’irrigation vu à la Mecque pour créer le Nahr-e-Ambari (nous y reviendrons un peu plus tard).
A Bagdad
Au début des années 1560, toujours sous le nom de Chapu, il fut revendu et repris la route à travers l’Arabie jusqu’à Bagdad. A cette époque, la ville était sous domination de l’empire Ottoman. Bagdad est la plus grande ville et la plus belle que Malik Ambar verra de sa vie. Sur le marché des esclaves de Bagdad, il sera acheté par un marchand qui ne voit en lui qu’une opportunité financière. En effet, il revendra son esclave rapidement à un autre marchand avec une plus-value.
Début de son éducation
C’est là que Chapu va rencontrer la première personne qui va lui changer sa vie. Il sera acheté par Khwaja Mir Baghdadi, plus connu sous le nom Mir Qasim. Celui-ci le renommera Ambar du nom de la pierre précieuse ambre. C’est aussi Mir Qasim qui va éduquer Ambar. Ce dernier va apprendre à lire, écrire et la finance. Il apprendra l’arabe et le persan, ce qui lui ouvre un accès à une littérature importante. Il aura à cœur aussi de s’imprégner des différentes cultures qui composent cette ville cosmopolite. Radhey Shyam écrira dans son livre Life and times of Malik Ambar de 1968 que Mir Qasim traitera Ambar « comme son propre fils avec la plus grande générosité et gentillesse ».
Départ pour l’Inde
Mir Qasim décida en 1571, d’emmener Ambar avec lui dans son voyage jusqu’en Inde. Les intentions de Mir Qasim ne sont pas claires sur cette décision. Voulait-il éloigner Ambar de la jalousie de son fils? Avait il envie de faire une bonne affaire en revendant Ambar? Ou voulait il que celui-ci ait plus de possibilité d’évolution?
Dans tous les cas, dès leur arrivée en Inde, Mir Qasim vendit Ambar à Mirak Dabir, connu sous le nom de Chengiz Khan.
Les premières années en Inde de Malik Ambar
Au cœur du pouvoir
Chengiz Khan n’est pas n’importe qui. D’abord, c’est un habshi. C’est à dire un ancien esclave africain. Au XVIe siècle, il y avait beaucoup d’esclaves africain affranchis dans le Maharashtra. Il est aussi le peshwa (Premier ministre) du sultanat d’Ahmednagar. Ambar sera au départ un des nombreux soldats esclaves de Khan. Mais sa stature, sa présence et sa vivacité d’esprit le feront remarquer. Il passera au service personnel de son maître. Une relation de confiance et d’amitié se noue entre les deux hommes. Ambar nommera son deuxième fils Chengiz.
Ambar apprendra tous les rudiments de la gestion d’un état, de l’armée et des finances au contact de Chengiz Khan. Il apprendra surtout les règles de la cour et des intrigues au plus au niveau de l’état.
En 1574, Khan fut assassiné par des fonctionnaires de la cour. Sa veuve libéra Ambar. Une fois libre, Ambar avait peu de choix. Soit il rentrait dans l’armée du sultanat, mais à un rang inférieur soit il devenait mercenaire.
Le Maharashtra du temps de Malik Ambar
Ambar arriva dans le petit port portugais de Chaul dans le Konkan, région côtière du Maharashtra actuel. De part son emplacement, le Maharashtra a toujours été une terre de rencontre entre les religions et les cultures. A l’époque de Ambar, Hindous, Musulmans, Bouddhistes, Jaïns et Chrétiens se côtoyaient sans problème. Dans cette région, on parlait Marathi, Hindi, Persan, Arabe, Portugais. Ambar fera de ce territoire son pays d’adoption et en connaîtra chaque recoin, chaque villes, villages, vallées et montagnes. C’est en connaissant cette diversité et en la respectant que Ambar deviendra un grand chef d’état.
Malik Ambar, mercenaire contre les Moghols
La situation politique dans l’Inde du Nord
Le Nord de l’Inde a été gouverné par les sultans de Delhi pendant plus de 3 siècles. Mais en 1526, un descendant de Tamerlan, Babur se dirigea vers Delhi pour établir ce qui deviendra l’empire Moghol. Ses descendants auront tous la volonté d’envahir la région de Deccan (centre de l’Inde). Le troisième empereur Moghol, Akbar sera le premier à descendre vers le centre de l’Inde.
La défense du Sultanat de Bijapur
Malik Ambar décida de devenir mercenaire. Son aisance naturelle a dirigé des hommes lui permettra de constituer une armée de mercenaires assez importante.
Les premiers faits d’armes de cette armée ont été au compte du sultanat de Bijapur. Entre 1580 et 1590, Ambar se mettra au service de la régente Chand Bibi pour assurer sa protection et mater les rébellions qui ont éclaté. Ce sera le fils de celle-ci qui donnera le titre de Malik (roi ou chef en Arabe) à Ambar.
Chand Bibi après avoir laisser le sultanat de Bijapur à son fils retourna à Ahmednagar. Les armées du Nord commençant à se préparer à une invasion.
La défense du Sultanat d’Ahmednagar
A partir de avril 1595, Akbar prit le dossier du Deccan sous son autorité. Il commença par user de la diplomatie pour arriver à soumettre les sultanats du Deccan. Il envoya un émissaire à la cour de Burhan Nizam Shah II, le frère aîné de Chand Bibi, le sultan d’Ahmednagar. Celui-ci refusa de rencontrer l’ambassadeur de Akbar.
Les Moghols sont très sensibles au manque de respect. C’est pour cela que Akbar ordonna à son fils, le prince Daniyal, de corriger le sultan. Celui-ci mourra peu de temps après. Son fils ne restera pas longtemps au pouvoir, car il fut tué dans une bataille contre le sultanat de Bijapur. Une période d’instabilité commença. Chand Bibi y mit fin en mettant au pouvoir le deuxième fils de Burhan Nizam Shah I.
La première bataille contre les Moghols
Fin 1595, l’armée d’Akbar arriva près de fort de Ahmednagar. Malik Ambar déçu du peu de reconnaissance qu’il reçut de la part du sultan de Bijapur, décida de venir en aide à Chand Bibi. Celle-ci avait pris les commandes du fort de Ahmednagar. C’est à la tête de 150 cavaliers que Malik Ambar retourna à Ahmednagar.
Ensemble, ils repoussèrent une première fois , la puissance armée moghole. Celle-ci commença un siège autour du fort. Malik Ambar et son armée de cavaliers réussirent à briser ce siège avec des attaques nocturnes furtives. Durant 4 ans, le fort résistera au siège de l’armée moghole.
En 1599, une rumeur s’installe dans le fort. Chand Bibi serait prête à offrir le fort et le sultanat à Akbar. Des officiers décidèrent d’éliminer Chand Bibi. Sans elle, les troupes furent désorganisées et le 16 août 1600, l’armée moghole entra dans le fort. Un armistice est signé et la suzeraineté de Akbar est reconnue sur le sultanat d’Ahmednagar.
L’ascension de Malik Ambar au plus haut rang du sultanat d’Ahmednagar
Le temps des intrigues à la cour
Après la chute du fort d’Ahmednagar, Malik Ambar partit dans la clandestinité pour lutter contre l’empire Moghol. En 1600, son armée comptait plus de 7000 hommes. Il utilisa des tactiques de guérilla pour attaquer les lignes des Moghols au nord du sultanat. Mais son ambition était plus importante que d’être un petit rebelle dans la botte de l’empire. Il voulait que son nom soit connu sur tout le territoire impérial.
Il entreprit donc de faire revivre le sultanat des Nizam. Pour cela, il alla à Bijapur chercher le neveu du dernier sultan. Et pour être sûr d’être nommé Premier ministre, il offrit sa fille en mariage à celui-ci. Le nouveau sultan, beau fils de Malik Ambar, nomma ce dernier au poste de Premier ministre. Grâce à cela, il put mener à bien la reconstruction du sultanat autour de la détestation de l’empire Moghol.
De la régence à la gloire
Malik Ambar va devoir lutter pour garder sa place. Il déjouera des complots menés par ses ennemies.
En 1605, l’empereur Moghol, Akbar meurt. Malik Ambar y voit l’opportunité de déclarer l’indépendance du sultanat de l’emprise Moghol. Le Prince Salim qui devient l’empereur Jahangir ne peut pas laisser passer cet affront. Une nouvelle guerre commence entre l’empire et le sultanat. Jusqu’à la mort de Malik Ambar, les Moghols ne pourront pas s’introduire dans le Deccan.
Jahangir, le grand moghol lui voua une haine si féroce qu’il demanda à un artiste de la peindre en train de lancer des flèches dans la tête décapitée de Malik Ambar. Un fantasme qui ne se réalisera jamais.
Pendant ce temps, Malik Ambar doit aussi gérer les intrigues à la cour.
Murtaza Nizam Shah II commençait à voir d’un mauvais œil, l’influence de Malik Ambar sur le sultanat. Il voulut aussi ne plus être une marionnette. Marié à la fille de Malik Ambar, Il la fera assassiner pour envoyer un message. Malik Ambar fout de rage, se rendit à la cour et tua le sultan et sa mère. Il installa sur le trône le fils du sultan assassiné, Burhan Nizam Shah II.
Devenu le nouveau régent, il décida de faire construire une nouvelle ville au Nord de Ahmednagar. Il y transféra sa capitale et Khardki devint de fait la nouvelle capitale du sultanat des Nizam.
Il continuera toute sa vie à se battre contre les Moghols tout en développant son royaume.
Le 11 mai 1626, il s’étendra à l’age de 80 ans. Il sera enterré dans un tombeau à la sortie de Khuldabad, l’ancienne capitale soufi de l’Inde.
L’héritage de Malik Ambar
De part son importance politique, Malik Ambar a façonné un territoire et des idées. Il a aussi laissé un héritage architectural important.
Son héritage politique
Le Maharashtra est une mosaïque de croyances et de peuples différents. Malik Ambar fut le premier à réunir derrière un même drapeau, musulmans, hindous et chrétiens (les Habshis). Grâce à ses talents de diplomates et à sa tolérance, il réussit à faire vivre différentes communautés dans sa capitale Khardki (Aurangabad aujourd’hui). Il a enfin enseigné les méthodes de guérilla aux Marathes qui l’appliqueront avec Shivaji au siècle suivant contre les Moghols.
L’héritage architectural
Malik Ambar utilisa ses talents d’administrateur lors de la formation de sa capitale, Khardki. Il la dota d’un système d’irrigation qui apporta l’eau nécessaire à la ville, le Nahr-e-Ambari . Ce système long de 8 kilomètres entre la source et la ville ne fonctionne que par la force de la gravité et est toujours en marche à l’heure actuelle. Grâce à ce système ingénieux, la ville de Khadki possédait de nombreux jardins luxuriants. Un exploit dans la région aride d’Aurangabad. On peut voir ce système en visitant Panchakki.
Pour une harmonie entre les communautés, il fit construit des bâtiments pour chacune d’elles afin de pouvoir se réunir et organiser les festivités religieuses. Le Town hall était le monument réserve aux Chrétiens et le seul qui existe encore.
En 1616, l’armée de Malik Ambar remporta une bataille importante contre l’empire Moghol. Pour la célébrer, il fit construire ce qu’on appelle aujourd’hui la porte Bhadkal (Bhadkal gate ou Bhadkal Darwaza). Cet arc de triomphe possède un large balcon où était positionné les musiciens et chanteurs lors de célébrations.
Il fit construire son palais près de la porte Bhadkal. Son palais était composé de 9 bâtiments. C’est pour cela qu’il est appelé le palais Naukhanda ( nau= neuf, khanda= endroit, lieu). Malheureusement de ce palais, il ne reste que la porte majestueuse, la salle de réception et des éléments dans la bibliothèque de l’école qui prit sa place.
Malik Ambar a marqué de son empreinte l’histoire du Maharashtra et de l’Inde. Il est malheureusement oublié de nos jours.
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